“Jérusalem” : un espoir de réconciliation dans le théâtre de nos vies
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Comment parler de paix quand le monde autour de nous est à feu et à sang ? Comment garder espoir quand les appels à la haine fusent de part et d’autre du monde, et quand la rage et la vengeance mettent à bas les quelques tentatives de dialogue ? Ismaël Saïdi, artiste belge d’origine marocaine, ose parler de paix et de tolérance dans un poignant dialogue théâtral qui confronte une Canadienne revenue à Jérusalem pour récupérer la maison de ses ancêtres et un Palestinien qui doit la quitter. Ce dialogue fait revivre des fantômes aussi vivaces que locaces, au détours de traumatismes respectifs et de catastrophes. Epatant.
“Aucune pierre ne mérite que l’on se batte pour elle”

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Toute pierre que l’on conserve précieusement est le symbole d’une histoire passée ou confisquée, d’une lignée que l’on porte fièrement avec soi, pierre d’une maison détruite ou reconstruite, pierre de la discorde que l’on emporte ou que l’on projette violemment. Shahid, Palestinien que l’on vient déloger, souhaite justement l’emporter, cette pierre qui est un souvenir de son grand-père et qui constituait surement l’ancienne maison. Il y tient, d’autant plus que Delphine, une Canadienne aux origines familiales européennes, s’est vue attribuer la maison de Shahid. La conversation polie entre Shahid et Delphine se tend rapidement, quand l’un évoque la privation d’un domicile qui appartenait à son grand-père, et l’autre le droit à retrouver la maison de sa famille polonaise qui fut en partie décimée dans les chambres à gaz. Eternelle contradiction entre Juifs et Arabes palestiniens qui bataillent pour revendiquer une même terre. L’éclipse de soleil plonge soudain le monde dans le noir, et les fantômes de chacune des familles reviennent prendre possession de leurs âmes. Soudain, c’est Al Quodsi, le grand-père de Shahid, exilé de la Nakba, qui s’anime de manière spectaculaire, face à Ruth, la grand-mère de Delphine, qui parle le français avec un accent yiddish à couper au couteau, et qui raconte son quotidien dans les camps nazis. Deux mondes, surgis des abîmes du 20° siècle, prennent possession des deux personnages comme des dibbouks bienveillants et protecteurs.
Un théâtre d’émotion et d’acteurs

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Le défi d’un tel texte, qui plonge dans deux souffrances revendiquées aujourd’hui de manière brûlante au Proche-Orient, est de parvenir à nous captiver par delà même l’actualité depuis le 7 octobre 2024. Et c’est une gageure, relevée avec talent et humour par Ismaël Saidi qui refuse catégoriquement d’être assimilé à un seul camp victimaire. Ancien policier devenu auteur, il s’est fait connaître avec la pièce Djihad en 2014, jouée devant des milliers de jeunes spectateurs et à travers le monde. Ecrite en 2022 et créée en 2024 au Théâtre de Liège, Jérusalem tisse une multitude d’anecdotes et d’histoires, et de blagues, autour de ces mémoires fracturées entre passé et présent. Les deux comédiens, lui même jouant le personnage de Shahid et de son grand-père, et Inès Weill-Rochant, en alternance avec Fiona Lévy, rivalisent d’énergie et de talent, nourrissant leurs personnages sur le mode tragicomique-burlesque, aussi drôle qu’émouvant. Bien sûr ils en font beaucoup et la transformation soudaine des personnages en leurs ancêtres en 1950 reste très spectaculaire. Mais on salue l’enthousiasme et la foi en un dialogue recréé, en une écoute des histoires respectives, que porte ce spectacle qui magnifie l’espoir d’une réconciliation et le fait sur une petite salle de théâtre privé parisien. Il faut les applaudir.
Hélène Kuttner
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